Interview sans langue de bois !

jeudi 13 octobre 2011
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Bernard MARTIN est le secrétaire général adjoint du syndicat CFDT des Postes Ile-de-France. Militant depuis 1987, puis permanent depuis 1989, il a assumé toutes les responsabilités d’un syndicat de base CFDT, en charge de secteurs professionnels très divers (France Telecom, Orange, privé telecoms et postes, La Posteà¢â‚¬Â¦). Il est actuellement en charge de l’action revendicative du syndicat CFDT dans le secteur des Postes en IdF (La Poste, filiales du groupe LP, opérateurs privés) et du secteur Finances (La Banque Postale, Services Financiers, la Caisse des Dépà´ts et Consignation). Il est également membre de l’organe directeur de l’interprofessionnel CFDT francilien, qui fédère plus de 100 000 adhérents CFDT toutes professions confondues. Depuis un an, il est également chargé de reconstruire la CFDT à La Poste 92.
Nous avons souhaité mettre à profit son expérience pour avoir des réponses à quelques questions, pour vous aider à vous repérer à la veille d’élections déterminantes pour les quatre prochaines années.

La Rédaction : Bonjour Bernard. Tu t’occupes du 92 depuis un peu plus d’un an maintenant. Que peux-tu nous dire ?

Bernard MARTIN  : àƒâ€¡a me rappelle un peu ma jeunesse, lorsqu’on a reconstruit la CFDT en Ile-de-France après le départ des militants d’extrême-gauche de la CFDT PTT pour créer SUD. C’était un sacré challenge, où celles et ceux qui étaient restés à la CFDT se devaient d’avoir un moral d’acier pour « exister » ! La situation du 92, même au Courrier, n’est quand même pas comparable, car on ne part pas de rien.

LR : Comment expliques-tu ce point noir CFDT en Ile de France ?

BM : Plusieurs facteurs ont conduit à cette situation, essentiellement internes. Restructurations successives de la CFDT, turn-over des responsables et des militants, pilotage défaillant du syndicat CFDT qui avait en charge ce département, erreurs tactiques et parfois stratégiques lors des conflitsà¢â‚¬Â¦Et quand on laisse autant d’espace pendant longtemps, il ne faut pas s’étonner que la nature comble les vides !

LR : La CFDT vient pourtant encore une fois de se restructurer, puisque désormais, c’est un syndicat francilien !

BM : Une restructuration des champs syndicaux n’a d’intérêt que si on améliore la prise en charge revendicative. Aujourd’hui, nous sommes en capacité de faire du 92 une priorité francilienne, en faisant vivre la solidarité entre départements. Si, par ailleurs, j’assume beaucoup de missions différentes et l’animation de tous les secteurs revendicatifs du syndicat, le fait de « monter » en 1ère ligne dans le 92, notamment Courrier, a nécessité un redéploiement de moyens. La création du syndicat CFDT des Postes IdF a permis de faire vivre cette solidarité, sans trop déshabiller les autres départements, et notamment Paris, où j’ai exercé mes dernières responsabilités directes dans les établissements. Bon, on passe à autre chose que notre nombril ?

LR : Le « paysage syndical » du 92 est-il particulier ?

BM : En terme de poids des uns et des autres comparé aux autres départements de banlieue, il y a peu de particularités, hormis l’actuelle faible représentativité de la CFDT. Ce qui est plus particulier, ce sont les rapports entre syndicats, la conception de la pratique syndicale sur le terrain et du dialogue social. Rien qui me surprenne, mais beaucoup de choses aberrantes ou choquantes syndicalement, moralement, déontologiquement.

LR : Des précisions ?

BM : Le respect de la dignité humaine est pour moi, un élément essentiel de la pratique syndicale. On peut ne pas être d’accord, mais il y a des lignes blanches à ne pas franchir. Mettre plus bas que terre un interlocuteur patronal en prise de parole, ou intimider des agents, est tout ce qu’il y a de plus facile. C’est ce que j’appelle la stratégie de « l’action/réaction/contre réaction ». Malheur à celui qui s’y laisse prendre. Les conflits aussi sont particuliers : il y a une recherche systématique de globaliser ceux-ci, puis de les exporter dans d’autres centres, et tout ça à partir de problèmes très locaux ! Une action ultra-minoritaire peut ainsi durer longtemps, tant qu’il y a des grèvistes. C’est fatiguant, usant, tant pour le personnel que pour les cadres. C’est du syndicalisme politique, dont l’alpha et l’oméga est le conflit perpétuel et qui se situe clairement dans le camp « révolutionnaire ». A cà´té de ce syndicalisme, représenté par SUD, il y a le syndicalisme du « donnant-donnant », dont les lignes sont beaucoup plus floues, mais dont le cà…“ur est le « clientèlisme ». Ce syndicalisme-là est obligé de faire dans l’apparence, tenant des discours publics différents de ceux tenus devant les patrons. Il s’attèle plus à défendre des intérêts particuliers ou boutiquiers. De plus, nous nous sommes vite aperçus qu’il pouvait aussi être irrespectueux des personnes, pour en avoir été victimes, en n’hésitant pas à taper sous la ceinture. Notre arrivée a sans doute été prise par cette organisation comme une forme de concurrence qui risquait de leur prendre des « parts de marchés ». Bref, dans le 92, il n’y a guère que la CGT qui pratique un syndicalisme responsable (sauf peut-être à Levallois-Perret), bien qu’en perte de vitesse, car pris « en tenaille » par les autres acteurs sur le terrain, qui ont trouvé la « faille » dans ce qui fait l’identité de la CGT.

LR : Pas triste. La CFDT présente des listes aux prochaines élections dans le 92. Quelle est la différence notable avec les autres syndicats ?

BM : La différence, on la trouve en creux dans ce que je viens de dire. Notre démarche s’appuie sur une stratégie gagnant-gagnant (qui n’est pas le donnant-donnant auquel sont habitués les patrons), en recherchant des avancées concrètes et pérennes, quelque soient les moyens employés (négo, conflità¢â‚¬Â¦). Mais ce qui nous différencie peut-être le plus, est que nous ne pratiquons pas le double-langage, ni ne considérons que la fin justifie les moyens. Je préfère de loin la maxime de Gandhi : « Les moyens sont à l’action ce que l’arbre est à la semence ». C’est un gage de pérennité des résultats obtenus, et de confiance dans les rapports sociaux, avec les autres syndicats comme avec les patrons. Et ça, ça manque un peu beaucoup à la DOTC 92, où on est obligé de compter nos doigts une fois qu’on a serré des mains syndicales ou patronales ! Mais depuis un an d’activité, on peut dire que, malgré notre faible poids, on a modifié un peu le paysage syndical : il n’y a pas eu de réédition de 2009 et 2010 en 2011 !

LR : Quels sont les enjeux, pour la CFDT, des élections du 18 octobre ?

BM : Pour nous, il s’agit d’aller plus loin que de gagner notre représentativité en obtenant au moins un siège au futur comité technique. Nous espérons franchir la barre des 10%, et pourquoi pas beaucoup plus. Mais pour ça, il faut convaincre les électeurs qu’il faut voter « utile », pour que chaque voix compte. Car la course se mène entre quatre organisations : SUD, CGT, FO et CFDT. Toutes les voix qui se porteront sur les listes CGC/UNSA et CFTC seront pénalisantes pour la seule CFDT, alors que ces petites organisations n’ont aucune chance d’obtenir ne serait-ce qu’un seul siège. Ce serait donc autant de pourcentage en moins pour nous, alors que nous représentons la seule véritable alternative pour modifier des rapports sociaux archaà¯ques.

LR : Merci Bernard. Au moins, tu poses le débat sur les différents type de syndicalisme en présence.

BM : J’ai toujours été ouvert au débat, et j’espère avoir éclairé en quelques mots les enjeux des élections du 18 octobre.